Difficile de ne pas avoir entendu parler de la Grande Démission. Phénomène venu des États-Unis, il s’interprète parfois comme l’une des conséquences d’un marché de l’emploi dynamique, permettant de changer régulièrement de « job ». Mais n’y voir que cet aspect revient à nier une autre réalité : le mal-être du salarié. Un sentiment souvent réduit à la question de la rémunération ou des relations entre individus, alors que d’autres facteurs entrent en jeu.
En juillet dernier, dans une interview au magazine Business Immo Global, Flore Pradère, Directrice de Recherche chez JLL s’imaginait le travail en 2050 : « Les injonctions autour du temps de présence semblent être d’un autre temps : les managers ont revisité leur approche et se positionnent en leaders charismatiques, au service du développement de leurs collaborateurs (...) Leur rapport à la performance est à l’opposé de celui de 2022 : peu importe le nombre d’heures passées derrière son PC, chacun est libre de définir son propre rythme, à compter du moment où les objectifs sont remplis. » Et si cette fiction devenait réalité ? Le baromètre* des préférences sociales 2022 que JLL a réalisé, pour comprendre les attentes des salariés, va dans ce sens.
*Données recueillies par le groupe JLL auprès d’un panel de salariés de bureaux de tous secteurs d’activités. Ces statistiques résultent d’une enquête internationale, effectuée dans 11 pays dans le monde.
Le travail hybride, nouveau moteur de la compétitivité
58% des salariés luxembourgeois préfèrent la solution du travail hybride.
Le travail hybride a créé une certaine forme d’équilibre dans la vie des salariés. Habituellement partagé entre une présence en entreprise et l’autre partie du temps à domicile, il peut également inclure un lieu tiers, tel qu’un café, un salon d’hôtel ou un espace de coworking. Parmi les employés luxembourgeois interrogés, le travail hybride est dominant : 37% apprécient la combinaison bureau / maison contre 13% qui y ajouteraient un tiers lieu. 7% trouvent leur bonheur dans un duo télétravail / tiers lieu et seulement 1% voit d’un bon œil une alternance bureau / tiers lieu.
À l’échelle mondiale, le travail hybride est désigné par 60% des sondés comme le mode de travail le plus plebiscité. En nombre de jours à l’extérieur de l’entreprise, cela représente une moyenne globale de 2,3 jours par semaine. Les États-Unis se situent dans cette moyenne. Au Royaume-Uni et au Canada, elle est de près de 3 jours. En Belgique, elle se rapproche de 2 jours. La France s’empare moins facilement de cette tendance, avec une journée et demie. Au Luxembourg, elle est... d’une seule journée. La gestion de la crise du Covid-19, survenue en 2020, explique pour partie ces différences. Les restrictions sanitaires ont été beaucoup plus sévères ailleurs qu’au Grand-Duché, où le confinement n’a finalement pas duré très longtemps. 49% des personnes consultées affirment y avoir poursuivi leur activité en présentiel. Donc, le télétravail n’a pas été vu comme impératif pour les employeurs. La question de la fiscalité a aussi joué son rôle, poussant les salariés frontaliers à se déplacer physiquement pour éviter de perdre certains avantages.
Mais l’autre explication réside dans le fait que les salariés luxembourgeois sont attachés à leurs lieux de travail, tout simplement parce qu’ils s’y sentent plus productifs. Beaucoup plus productifs même que dans d’autres pays où le travail à distance, sans être la norme, est plébiscité. Comme chez le voisin belge par exemple, où 59% des personnes consultées sont favorables au télétravail « à plein temps ». Au Luxembourg, c’est 38%.
Alors, quelle approche pour une approche du travail réconciliant bien-être et performance ? 1 à 2 jours par semaine à la maison et le reste au bureau. C’est en tout cas le souhait exprimé par 45% des travailleurs qui, avec cette solution, s’estiment plus productifs que s’ils passent toute la semaine au sein de l’entreprise.
Du soutien technique pour le travailleur hybride
78% des employés luxembourgeois réclament un meilleur support technologique lorsqu’ils sont en télétravail
Travailler à distance soulève un bon nombre de problématiques auxquelles les salariés ne sont pas soumis au sein de leurs entreprises. Dans la plupart des cas, leurs employeurs vont leur fournir le matériel de base ; généralement un ordinateur portable et, pour les plus « chanceux », un téléphone GSM et / ou une connexion internet. Pas mal, pourrait-on dire, puisque cette dotation satisfait une vaste majorité des travailleurs, mais ce n’est pas suffisant. Au Luxembourg comme en Belgique, une tendance conjointe montre que 64% des employés attendent plus de soutien technologique, et notamment des équipements de pointe et plus complets. La plupart du temps, cela passe par un investissement plus conséquent des entreprises, réclamé par 70% des sondés au BéLux qui, dans le meilleur des cas, espèrent une enveloppe financière pour leurs dépenses liées au travail à distance. Les fournitures de bureau sont aussi importantes pour 52% d’entre eux. À l’inverse, peu sont nostalgiques de certains avantages qui, habituellement, facilitent le quotidien comme la garderie, l’accès à la salle de sport ou à des activités similaires (11% uniquement des salariés belgo-luxembourgeois continueront d’y trouver un intérêt). La livraison des repas devient elle aussi secondaire : 10% demandent que ce service se poursuive à domicile. Enfin, et cela surprendra surtout du côté de la hiérarchie, 46% des personnes interrogées estiment qu’il faudrait leur attribuer un bonus financier pendant la période de télétravail.
Les employés luxembourgeois aiment se rendre au bureau
80% des salariés luxembourgeois ne se sentent pas plus productifs à la maison
Pour que le travail hybride fonctionne, il faut une approche holistique de la performance et de la création de valeur. Ici, la question posée aux employés était celle-ci : êtes-vous moins, autant ou plus productifs en travaillant à la maison ? Au début de la pandémie de Covid-19, la réponse globale se situait majoritairement vers la négative, surtout du côté des travailleurs qui passaient l’intégralité de leur temps au bureau. Les chiffres ont sensiblement évolué dans le temps. Dans le monde, 40% des sondés se trouvent aujourd’hui au moins aussi productifs à la maison qu’au bureau et 47% affirment être plus productifs. Au Luxembourg, c’est seulement 20%. Pour expliquer ce chiffre, il faut regarder du côté du collectif. Conjointement à ceux de Belgique, 57% trouvent que les interactions sociales avec les collègues leur manquent. Et 40% jugent que le travail d’équipe est impacté par l’activité à distance, qui peut entraver la compréhension entre individus. Enfin, 35% des personnes ne voient pas clairement la frontière entre professionnel et privé lorsqu’ils sont à domicile.
La flexibilité du temps de travail plébiscité au Luxembourg
86% des salariés du BeLux trouvent intéressant le fait de pouvoir moduler leur propre temps de travail
À l’échelle mondiale, les salariés apprécient leurs lieux de travail. 48% sont pleinement satisfaits de ceux-ci et 40% estiment plutôt évoluer dans un environnement agréable. Cette vaste majorité de convaincus se retrouve également en Belgique et au Luxembourg, où 82% des personnes interrogées ont un sentiment positif à l’égard de leurs environnements de travail. Néanmoins, 39% seulement sont complètement satisfaites. Près de 2 employés sur 10 ne sont pas du tout contents du cadre dans lequel ils opèrent et, dans le cas du Grand-Duché, 18% envisagent même le fait de quitter leur job actuel.
Quelques initiatives savamment prises par les employeurs pourraient sans aucun doute influencer cette décision. Par exemple, la flexibilité du temps de travail, plébiscitée par 86% des sondés. La semaine de 4 jours, que 80% d’entre eux apprécient. Plus pragmatique, la distribution gracieuse de produits frais (fruits, smoothies, ...) dans l’entreprise, espérée par 52% du panel belgo-luxembourgeois ou encore la prise en charge du trajet vers le lieu de travail concernant les travailleurs frontaliers au Luxembourg (50%)
Le bien être des salariés, primordial pour l’employeur de demain
75% des salariés du BeLux attendent de leur entreprise qu’elle promeuve la santé, le bien-être et la sécurité
L’entreprise doit être beaucoup plus au fait du bien-être et de la santé mentale de ses travailleurs. Plus qu’un salaire, ces derniers attendent de leurs employeurs une implication franche sur la question. En Belgique et au Luxembourg, 71% se disent prêts à opter pour un patron qui les soutient en matière de santé / bien-être. C’est plus élevé que dans le reste du monde. Les entreprises qui agissent pour le climat et respectent les ressources de la planète ont aussi la cote, applaudies par 53% des employés belgo-luxembourgeois. En troisième sur le podium, les sociétés connectées, avec de nombreux outils pour faciliter le quotidien, plébiscitées par 50% des interrogés.
En revanche, la promotion de la culture d’entreprise ou de l’identité de la marque ne fait pas partie des attentes prioritaires des salariés au Belux. 27% y trouvent un intérêt contre 43% dans le reste du monde. Et ceux qui pensent que le salaire efface le manque d’intérêt pour l’entreprise se trompent car seulement 49% font de leur paye une priorité.
En conclusion de cette étude, retour vers le futur envisagé par Flore Pradère ; en 2050 : « Peu importe le nombre de jours de présence, désormais, c’est la qualité du lien social qui est au cœur des attentions. »